Paris le 15 juillet 2025
À Madame Élisabeth Borne,
Ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
À Madame Astrid Panyosan-Bouvet
Ministre chargée de l’emploi et du travail
À Monsieur Laurent Marcangeli,
Ministre de l’action publique, de la Fonction publique et de la simplification
Mesdames et monsieur les ministres,
Le 17 juin 2025, un élève de seconde générale, scolarisé au lycée polyvalent Curie-Corot de Saint-Lô, trouvait la mort sur le lieu où il exerçait son stage d’observation de fin d’année en milieu professionnel.
Cet accident tragique n’est pas isolé : le 30 avril, un élève apprenti maçon âgé de 15 ans perdait la vie sur un chantier à Saint-Martin du Var ; le 16 mai, c’est un lycéen préparant un bac professionnel qui trouvait la mort en Saône-et-Loire dans l’entreprise où il était en stage.
Vendredi 27 juin, une jeune femme de 19 ans, suivant une formation dans un lycée agricole de Corrèze, a elle aussi perdu la vie dans la ferme où elle était en stage.
Vendredi 4 juillet, dans le Maine-et-Loire, un jeune homme de 16 ans décédait, lui aussi durant son stage dans une exploitation agricole.
Établie sur quelques semaines, cette liste macabre signale un problème d’ampleur et montre la récurrence scandaleuse d’accidents mortels coûtant la vie à des jeunes en formation, en apprentissage ou stage d’observation. Cette succession ne relève pas d’une coïncidence : c’est le résultat de choix politiques qui promeuvent un rapprochement toujours plus grand entre l’école et l’entreprise, une confrontation des jeunes au monde du travail toujours plus précoce et plus longue.
Pourtant, la mainmise des entreprises sur la formation présente de nombreux risques contre lesquels nos organisations syndicales alertent depuis longtemps. La jeunesse, considérée comme chair à patron, est sacrifiée.
Les chiffres officiels sont sans appel. En effet, le taux d’accident du fait du travail est bien plus élevé chez les jeunes : d’après l’INRS, les 15-24 ans connaissent en moyenne 2,5 fois plus d’accidents de travail que l’ensemble des salarié
es.Avec l’augmentation des stages et des périodes de formation en milieu professionnel, les réformes successives de l’Éducation nationale poussent de plus en plus de jeunes, de plus en plus tôt et sur des périodes de plus en plus longues, dans les entreprises : « initiation à l’orientation » dès la classe de 5e, stage obligatoire de 15 jours en milieu professionnel pour les élèves de seconde générale et technologique, travail des élèves de lycée professionnel dès la seconde sur le choix à faire en terminale pour la poursuite d’études ou l’insertion sur le marché du travail. La libéralisation de l’apprentissage en 2020 a permis l’explosion du nombre d’apprenti
es (passé de 300 000 à plus de 800 000 nouveaux contrats par an entre 2018 et 2022) et la création de formations tous azimuts, mal (ou pas) encadrées, sans compter le nombre de formations fantômes délivrées par des organismes virtuels.Par contre, les jeunes sont bien présent
Cette introduction des jeunes dans les lieux de travail s’opère sans que soient prises les mesures nécessaires pour assurer leur santé et leur sécurité, pour prévenir les risques auxquels ces jeunes sont exposé es.
Cette situation, compte tenu des conséquences tragiques qu’elle a trop souvent, impose des mesures urgentes pour protéger les élèves et les jeunes en formation. En raison des risques encourus, les stages en milieu professionnel et les périodes en entreprises des élèves doivent être limités et strictement encadrés.
À ce titre, nos organisations demandent :
- une révision du Code de travail pour intégrer précisément les droits des élèves stagiaires et des jeunes en formation, garantir l’exercice de ces droits, prévenir les nombreux risques professionnels auxquels ces jeunes sont confronté es comme l’ensemble des travailleurs euses ;
- le rétablissement de l’autorisation préalable délivrée par l’inspection du travail pour l’emploi de jeunes mineurs à des travaux dangereux, supprimée en 2015 ;
- l’élargissement de la procédure de retrait des jeunes travailleur euses, des apprenti es et des stagiaires en cas de situation dangereuse constatée par l’inspection du travail ;
- le rétablissement d’un véritable contrôle par l’État des organismes de formation qui proposent et organisent les formations en alternance,
- un renforcement des services de l’inspection du travail pour pouvoir exercer les contrôles qui s’imposent afin de s’assurer que toutes les mesures sont prises par les employeurs pour encadrer les stagiaires et les apprenti es, les accompagner sans les mettre en danger, respecter les conditions dans lesquelles les stages doivent s’effectuer ;
- du temps libéré de cours et rémunéré pour les enseignant es afin de pouvoir vérifier la qualité de l’accueil des élèves au sein des entreprises, d’assurer un suivi, d’aller rencontrer les employeurs ;
- un accès gratuit et garanti aux équipements de protection individuelle pour tou te s les élèves, et ce dès le début de la scolarité en lycée professionnel ou en CFA, avant tout stage, y compris de simple observation, en milieu professionnel ;
- davantage de formations aux premiers secours à destination des élèves et des personnels de l’éducation nationale, et des mises à niveau régulières ;
- un renforcement des formations sur le droit du travail à destination des élèves et des jeunes en formation, notamment en termes de culture des risques professionnels, préalablement à toute présence dans le monde du travail. Ces formations doivent impérativement intégrer un module complet sur la prévention des violences sexuelles et sexistes au travail ;
- la suppression du parcours en Y pour les élèves de lycée professionnel, les conditions imposées sur les stages des 6 dernières semaines ne permettant pas un suivi de qualité ;
- la suppression du stage d’observation en milieu professionnel mis en place pour les élèves de seconde générale et technologique.
Ce dispositif avait été largement rejeté en conseil supérieur de l’éducation, il creuse les inégalités socio-économiques que subissent les élèves et s’oppose aux principes d’émancipation qui doivent guider les politiques éducatives.
Veuillez agréer, mesdames et monsieur les ministres, l’expression de notre parfaite considération.
Pour l’Union Syndicale Solidaires,
Julie Ferrua et Murielle Guilbert,
Co déléguées
Pour Solidaires Fonction Publique,
Gaëlle Martinez,
Déléguée Générale
Pour Sud Education,
Benjamin Bauné et Maud Valégeas,
Secrétaires Fédéraux
Pour Sud Travail Affaires Sociales,
Sarah-Loëlia AKNIN,
Secrétaire nationale
Pour Sud Rural Territoires,
Loïc Bour et Dominique Blivet,
Secrétaires nationaux
Pour le SUNDEP Solidaires,
Albine Bellinger et Christian Hamon,
Co secrétaires généraux