Loi travail, c’est toujours le retrait

Tract Solidaires
Lundi 21 mars 2016

La loi travail annonce des remises en causes fondamentales qui concernent les salarié-es comme les syndicats. Les premières réactions et les mobilisations ont obligé le gouvernement à revoir à la fois son calendrier et la forme de son projet. Il a opéré des reculs sous la pression de la rue mais des orientations essentielles et particulièrement néfastes pour les travailleuses et travailleurs demeurent. Le patronat ne s’y trompe pas et Gattaz le dit dans une note interne : « sur les lignes rouges qui avaient été évoquées, nous avons été écoutés » (le Canard enchaîné du 16 mars). De plus, le gouvernement maintient dans son projet les jalons lui permettant de continuer à avancer sur les sujets controversés : code du travail, conventions collectives, enjeux des accords dérogatoires, enjeux autour du télétravail et du décompte du temps de repos par exemple. Enfin, s’agissant des jeunes, les mesures annoncées peuvent difficilement promettre un avenir : peu d’engagement financier pour les jeunes en difficulté et une perspective pour tous et toutes d’un CDI de plus en plus précaire…

[!sommaire]Sur le fond : toujours une attaque globale majeure

  • Faciliter les licenciements collectifs ou individuels, soi-disant pour embaucher plus facilement. Déjà en 1986 la suppression de l’autorisation administrative de licenciement était basée sur le même prétexte avec le résultat que l’on connait.
  • Remettre en cause les 35h par le biais des accords d’entreprise.
  • Remettre en cause la hiérarchie des normes dans la négociation collective : c’est-à-dire s’affranchir des contraintes liées à la loi avec des accords locaux qui pourraient être moins favorables que le Code du travail.
  • Simplifier le code du travail pour remettre en cause les droits des salarié-es.

On trouve là le concentré des volontés patronales et la décision gouvernementale d’y accorder toute son attention. Le gouvernement partage les analyses et les objectifs du patronat : renforcer la compétitivité et les marges des entreprises, ce qui serait le moyen d’une relance de la croissance et de l’emploi à terme, sans partager les richesses. Cette politique est menée par F. Hollande depuis son élection, et auparavant par N. Sarkozy, mais ce projet en constitue un élément clé supplémentaire. Il répond par ailleurs aux orientations des institutions européennes qui préconisent depuis des années des réformes du marché du travail dont les résultats sont contestables partout : moins de droits en particulier pour les salarié-es les plus précaires et les jeunes, moins de protection par les conventions collectives, pas d’effets sur un quelconque dynamisme économique. Faute d’être la bonne élève pour ce qui concerne le déficit public et la dette, la France vise la première place sur la déréglementation de nos droits.

Face à cela, nos conditions pour avoir un emploi, mais aussi nos conditions de vie au travail et en dehors du travail sont menacées. Nous voulons des emplois utiles socialement et écologiquement, des services publics et du lien social dans nos quartiers, un statut qui protège les salarié-es en emploi ou non, et une réduction du temps de travail à 32 heures, pour ne pas perdre sa vie à la gagner et gagner du temps pour vivre.

Ni amendable, ni négociable, retrait de la loi travail ! les points clés…

Nous indiquons ici les principales dispositions du texte modifié suite aux annonces du gouvernement le 14 mars, même si certaines restent imprécises aujourd’hui ou sont susceptibles d’être modifiées.

Le rapport Badinter sur le Code du travail, viré

Si les conclusions de Badinter sur le Code du travail ne sont plus intégrées à la loi, elles restent le guide de la refonte qui devrait avoir lieu dans les deux ans et sur laquelle nous n’avons aucune garantie. Ainsi ce rapport affirme « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail  » mais ajoute immédiatement que « des limitations ne peuvent leur être apportées que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. » C’est une inversion complète de l’objet même de ce code qui est de protéger les salarié-es et pas les entreprises… … mais pas enterré

Le Code du travail est compliqué, c’est vrai. Une grande partie des complications tient cependant aux dérogations déjà réalisées au profit des seuls patrons. Si de nombreuses pages sont consacrées aux CDD et aux requalifications par exemple, c’est bien parce que les employeurs en usent et en abusent. La simplification voulue des droits des salarié-es au profit de droits humains au travail est juste une manière de limiter le droit égal pour tous et toutes et de donner le champ libre à l’employeur au niveau local en fonction du rapport de force qu’il a. La question des obligations des employeurs est occultée parce que la notion de subordination n’apparaît plus, comme si le rapport entre le-la salarié-e et son patron était un rapport d’égal à égal.

Modulation du temps de travail sur 3 ans

La modulation horaire sur 3 ans a été maintenue même si elle est limitée à la condition d’accord de branche. Il n’y a là aucune rationalité, pas de saisonnalité par exemple. Dans de nombreuses entreprises, les abus sont déjà nombreux sur l’utilisation de la modulation, qui reste dans la plupart des cas une organisation du travail à combattre. Il s’agit juste d’aider les entreprises à ne pas payer d’heures supplémentaires. Entre temps, seule la législation européenne, dont on sait qu’elle a été tirée vers le bas par le gouvernement britannique, sera là pour protéger de durées trop longues. Par ailleurs sur décision unilatérale de l’employeur, une modulation pourra être réalisée sur 9 semaines pour les entreprises de moins de 50 salarié-es et de 4 semaines pour les autres.

Durées de repos entre 2 vacations

La baisse des durées de repos entre deux vacations : pour tout ce qui concerne les horaires atypiques, les durées de repos constituent des protections. Comment interpréter le droit à la déconnexion si les personnes peuvent voir fractionner leur repos de 11 heures obligatoire pour retravailler le soir de chez elles ? Le projet de loi prévoit que cela sera du domaine de la concertation, terme qui ne crée dans les faits aucune obligation.

Forfaits jour

Dans les entreprises de moins de 50 salarié-es, la CFDT prétend avoir obtenu une victoire avec la possibilité d’inscrire les forfaits jours après négociation avec un mandataire syndical. Cela pourrait apparaitre comme limitant la décision du seul employeur mais en réalité, cela autorisera des conditions de travail dégradées pour de nombreux-ses cadres ou travailleur-euses autonomes, comme cela s’est passé sur la mise en place des 35 h avec des mandataires syndicaux parfois choisis par les patrons.

Majoration des heures au delà de 35h

La limitation par accord d’entreprise des majorations des heures supplémentaires : sur accord d’entreprise la majoration des heures supplémentaires pourra être réduite, l’accord de branche ne pourra pas s’y opposer. Un patron menaçant de licencier pourra tout à fait utiliser ces arguments pour imposer la baisse du paiement des heures supplémentaires.

Plafonnement des indemnités prud’homales

Le plafonnement des indemnités prud’homales a été abandonné au profit d’un barème indicatif. On risque de se trouver confrontés à l’alignement des juges patronaux sur ce barème. L’objectif, pour un patron, est de savoir exactement ce que va lui coûter un licenciement illégal. C’est toujours une remise en cause de la proportionnalité des peines et de la justice prud’homale. Et il n’y a même pas de plancher. C’est surtout continuer à vouloir présenter comme illégitime la réparation d’un licenciement abusif !

Négociation : quid des syndicats majoritaires

Un accord d’entreprise sera valable s’il est signé par les syndicats majoritaires mais les syndicats minoritaires représentant 30% des voix pourront réaliser un référendum auprès des salarié-es (voir au dos). Dans un premier temps il s’agira uniquement du temps de travail, ce qui est considérable pour les conditions de vie et de travail. Déjà, les autres domaines seront concernés à partir de 2019. C’est ainsi donner la possibilité à l’employeur qui n’a pas réussi à convaincre les syndicats, de passer outre en utilisant toutes sortes de chantages, aux licenciements par exemple.

Les accords qui s’imposent au contrat

Il s’agit là d’une étape de plus dans les accords de sauvegarde de l’emploi. De nouveaux accords sont possibles sur le simple fait de préserver ou développer l’emploi. Il sera possible d’imposer une augmentation horaire au contrat de travail sans augmentation de salaire, ce qui signifiera une baisse de la rémunération horaire. Si le salarié-e refuse, il sera licencié pour motif réel et sérieux et pour raison personnelle sans le bénéfice de ce qu’offre un licenciement économique. 

Médecine du travail obsolète ?

La médecine du travail est aussi attaquée via une réforme de l’aptitude. La visite médicale d’embauche est remplacée par une visite de prévention et la visite obligatoire tous les deux ans saute aussi. Ainsi une bonne part des salarié-es ne verra plus de médecin du travail et, surtout, ceux-ci ne pourront plus faire lien entre le travail et les affections subies de son fait. De plus, le rôle du médecin du travail reviendrait à faire une sélection selon l’aptitude, ou non, du-de la salarié-e à endosser tel ou tel risque…

Droit de licenciement économique élargi

Les possibilités de licenciements collectifs existent largement aujourd’hui. Il s’agit d’y ajouter une pierre en permettant aux entreprises de les engager sur la seule base des résultats d’activité en France. On pourra ainsi délocaliser et juger ensuite de résultats insatisfaisants en France. Concession (!), un contrôle du juge est annoncé, cela n’empêchera pas les maquillages des comptes dans lesquels les patrons sont passés maîtres.

Fusion des conventions collectives

La restructuration des branches professionnelles et la fusion des conventions collectives sous deux ans au nom d’une prétendue rationalisation vont permettre de rogner sur les droits existants. La mobilisation actuelle des salarié-es du secteur social en défense de la convention 66 est un exemple de ces enjeux pour la reconnaissance des métiers et qualifications et les droits dans le secteur.

Compte personnel d’activité

Le Compte Personnel d’Activité (CPA) est intégré au projet de loi. Nous sommes loin d’un statut du salarié-e qui serait protecteur des droits. Ce CPA se résigne au chômage de masse et aux licenciements. Il organise une individualisation des droits mais la question du transfert de ces droits d’une entreprise à l’autre n’est pas réglé. Est intégré aujourd’hui au CPA : le compte formation et le compte pénibilité dont les contenus sont toujours très insatisfaisant. Un volet citoyenneté a été ajouté pour y intégrer certaines activités bénévoles mais pas toutes, loin de là (service civil, réserve, fonctions associatives jugées importantes). Demain, la volonté du gouvernement est d’y intégrer dans un système par points y compris la protection sociale (ce qui voudrait dire changer le système de retraite, d’indemnisation du chômage…).

Tout faire pour les jeunes en difficulté ?

Une aide financière dans le CPA pour les jeunes sans diplômes et pour les salarié-es non qualifié-es et l’extension de la garantie jeunes ont été ajoutées au projet. Cette dernière mesure était déjà dans les tuyaux et les personnels concernés par les missions locales emploi soulignent le manque de moyens humains et financier qui y sont consacrés. Les jeunes sans diplômes sont nombreux et la situation des jeunes qui ont un diplôme et pas d’emploi stable n’est pas traitée.

Femmes : en arrière toute !

Ce projet contient, une nouvelle fois, des mesures qui éloignent encore l’objectif d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Augmenter le temps de travail revient à nier l’inégale répartition des tâches domestiques (à 80 % prises en charge par les femmes) et conforte la double journée des salariées. Augmenter la modulation du temps de travail oblige toujours les femmes à jongler entre la garde des enfants, leur activité professionnelle, la gestion domestique… Faciliter les licenciements, alors que les salariées sont plus exposées au travail précaire, au temps partiel, dans des secteurs peu syndicalisés ouvre toujours plus la voix aux abus patronaux. Les femmes ont donc tout intérêt à lutter contre ce projet de loi !

Oui à la consultation des salarié-es… Non au chantage à l’emploi

Le gouvernement a inscrit quelques éléments pièges pour essayer de s’attirer la bienveillance ou au moins l’abstention de certaines organisations syndicales. Il en est ainsi de la question du référendum d’entreprise. Dans le contexte syndical diversifié aujourd’hui, il est difficile pour des syndicats minoritaires souhaitant signer des accords d’obtenir la possibilité de le faire. Le schéma présenté là, contourne l’obstacle existant du droit d’opposition des syndicats majoritaires en le supprimant tout simplement. Les accords seront majoritaires… sauf référendum. Dans les faits, comme cela s’est fait dans plusieurs entreprises, le référendum peut viser non pas à recueillir l’avis réel des salarié-es mais à faire pression, avec chantage sous les formes les plus diverses. Le chantage à l’emploi est un grand classique déjà inscrit dans les possibilités, du type : si vous ne voulez pas de licenciements, acceptez d’augmenter le temps de travail. C’est ce qui s’est passé il y a quelques années à Dunlop, ou le chantage récent à Air France. Un autre exemple est celui des consultations actuelles sur le travail du dimanche où la question du volontariat apparaît piégeuse, car on fait voter les salarié-es sur quelque chose qu’on leur dit ne pas être obligés de faire. Nous sommes favorables à la consultation des salarié-es mais comme un droit qui pourrait être utilisé par toutes les organisations et sur les questions posées par elles.

Aujourd’hui, avec ce projet, c’est la possibilité permanente de remettre en cause la représentation syndicale dans les entreprises, d’une façon qui ne partira pas des salarié-es mais des propositions portées par le patronat avec certaines organisations syndicales. Ce n’est pas de la démocratie.

Et la fonction publique ?

Y aurait-il des points communs entre ce projet de loi et ce qui est à l’œuvre dans la Fonction publique ? Protégé-es par leur statut, les fonctionnaires font figure de « privilégié-es ». C’est martelé dans les médias et sert à revenir sur leurs droits (retraites, jours de carence…) en oubliant le naufrage de leur pouvoir d’achat. Il ne s’agit pas de minorer ce qu’un licenciement sec veut dire pour un-e salarié-e… mais de voir les similitudes. Dans les attendus de la réforme du travail, on trouve les mêmes poncifs du système néolibéral qui sont rebattus depuis plus de vingt ans, dans le secteur privé, comme désormais dans le secteur public.

  • Pour le secteur privé, c’est l’allégement de cotisations sociales, le CICE, et les salarié-es variables d’ajustement économique au nom de la compétitivité et de l’emploi (dont on généralise une forme de précarisation). Le Medef est ravi !
  • Pour le secteur public, ce sont les dépenses publiques qui seraient trop lourdes, d’où des suppressions d’emplois massives (même si ce sont des non-remplacements) et des restructurations, l’informatisations à l’envi pour pallier la casse des missions… où les agent-es deviennent de plus en plus des pions qui doivent s’adapter là aussi !

Avec la réforme territoriale et les restructurations, les agents passeront demain d’un emploi à l’autre. On multiplie les personnels qui travaillent pour la Fonction publique sans pouvoir bénéficier du statut, et/ou qui ne sont pas recrutés par concours, les « faux-intérims », services civiques, pacte, apprentis…

Si l’inversion de la hiérarchie des normes n’est pas directe, l’organisation interne de la gestion du personnel y ressemble de plus en plus !

Les remises en cause des 35 heures se sont multipliées dans les hopitaux ou dans les collectivités locales avant même le projet, faisant craindre une évolution identique.

Alors, oui dans le privé et le public, tous et toutes concerné-es !

Voir en ligne : Source : Solidaires

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